Nous avons laissé notre Benny Goodman au concert du Carnegie Hall…
Dans cette deuxième partie de sa biographie, nous approfondirons son lent mais inexorable déclin.
Vous voici Benny Goodman – Partie 2
Le "après" Carnegie Hall
Ce concert a marqué, comme on l’a dit, l’apogée de la carrière de Goodman.
Par la suite, les choses commencent à se gâter. Les relations entre Benny et Krupa, la plus grande attraction de l’orchestre, s’enveniment au point de devenir carrément hostiles sur scène lors d’un engagement au Earle Theater de Philadelphie en février 38.
Krupa part pour monter sa propre formation et est remplacé par Dave Tough, un excellent musicien mais un homme au caractère instable, qui ne fait pas long feu chez Goodman et est remplacé par Buddy Schultz.
Ces changements sont sans conséquence pour Benny, qui continue à maintenir sa popularité.
Il donne un second concert au Carnegie Hall le 6 octobre 39, puis travaille brièvement avec son sextet dans le spectacle Swingin’ The Dream (basé sur le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare), puis se produit à l’Exposition nationale de Toronto et à l’Exposition universelle de New York.
C’est à cette époque que paraît son livre autobiographique, The Kingdom of Swing, dans lequel il souligne son intérêt pour la musique classique. Pour prouver qu’il ne s’agit pas d’une simple pose, Goodman enregistre plusieurs prestations classiques, dont la première est une version du Quintette pour clarinette et cordes K 581 de Mozart, interprétée en avril 1938 avec le Budapest String Quartet.
Le 6 janvier 1939, Goodman se produit au Carnegie Hall avec Béla Bartók et Joseph Szigeti pour interpréter une pièce qu’il a commandée à Bartók (Contrasts for Violin, Clarinet and Piano), qui sera enregistrée plus tard par les trois mêmes musiciens.
Le grand Charlie Christian
Harry James part début 1939, avec l’accord de Goodman, pour former son propre orchestre, et est imité peu après par Teddy Wilson qui a le même projet, mais sans grand succès.
Ces pertes sont compensées par l’arrivée en 1939 de Charlie Christian et de Fletcher Henderson, qui devient l’arrangeur et le pianiste attitré des premiers enregistrements du sextette.
À partir de ce moment, la production orchestrale devient de moins en moins intéressante, tandis que le sextette devient le point fort de la musique de Goodman.
Charlie Christian entre dans la cour de Goodman à la fin du mois d’août 39, grâce au toujours très entreprenant John Hammond.
Benny n’avait pas été très impressionné la première fois qu’il avait entendu ce jeune guitariste texan de 20 ans se présenter comme un country boy rustique, mais il était prêt à changer d’avis lorsque Hampton réussit à le faire participer à un sextet qui comprenait également le célèbre trompettiste ellingtonien Cootie Williams, ainsi que Count Basie, George Auld et d’autres.
Le premier enregistrement de ce groupe date du 2 octobre 39 : les morceaux interprétés sont Flying Home, Rose Room et Stardust, suivis de plusieurs autres, tous d’un excellent niveau. Outre les pièces avec le sextuor, on peut entendre Christian sur quelques enregistrements avec l’orchestre complet, dont le joyau le plus précieux est Solo Flight.
Son dernier enregistrement a eu lieu le 11 juin 1941, puis la tuberculose dont il était atteint l’a contraint à l’hôpital, où il est décédé à l’âge de vingt-deux ans seulement, le 2 mars 1942. Malgré sa courte vie, Charlie Christian a opéré une véritable révolution dans le jeu de la guitare, contribuant à jeter les bases de la naissance du jazz moderne. Parmi les meilleures performances du sextette figurent Surrender Dear, Memories Of You, As Long As I Live, On The Alamo, Shivers A Smo-o-oth One et Gone With “What” Wind.
Du Swing au Bop (presque)
Pendant la guerre, bien que de nombreux musiciens aient été appelés sous les drapeaux, l’activité de Benny est restée ininterrompue. L’orchestre a eu une série d’engagements dans divers hôtels et théâtres et a participé à d’autres films, dont Syncopation, The Gang’s All Here et Stage Door Canteen.
Mais en 1943, soumis à d’incessants changements de personnel, le line-up entre en crise, à tel point que Goodman décide de le dissoudre, et pour la première fois depuis 1934, il ne garde pas les membres du noyau dur attachés à lui.
L’ère des big bands connaît cependant ses derniers jours en 1947 : l’avènement du bop a déplacé l’intérêt des amateurs de jazz vers des formules moins spectaculaires et plus engagées.
En juillet 1948, Goodman retourne à Hollywood et apparaît dans un film de Danny Kaye, A Song Is Born, aux côtés d’autres musiciens de jazz célèbres tels que Louis Armstrong, Tommy Dorsey, Charlie Barnet, Lionel Hampton, Benny Carter, etc.
Entre la fin de 1948 et novembre 49, le clarinettiste veut chevaucher le tigre du nouveau jazz, à la tête d’un sextette qui comprend de nombreux jeunes comme le saxophoniste ténor Wardell Gray, puis le guitariste Billy Bauer, le trompettiste Red Rodney, et même Fats Navarro, l’un des grands trompettistes du bop qui participe à l’enregistrement de Stealin Apples, qui, avec Undercorrent Blues, doit être considéré comme la seule contribution convaincante de Goodman à la nouvelle trajectoire.
Mais, il est presque superflu de le souligner, l’ancien “King of Swing” était loin de s’exprimer selon la syntaxe du bop.
En 1950, Benny enregistra relativement peu, son engagement principal étant l’interprétation du Concerto pour clarinette et orchestre à cordes d’Aaron Copland, dirigé par l’auteur. En avril, il effectue une tournée dans différents pays européens avec un sextuor qui suscite bien des doutes car il réunit des solistes d’horizons très différents, du torride Roy Eldridge au posé Zoot Sims.
L’année suivante, il revient diriger un grand orchestre pour enregistrer quelques arrangements anciens et nouveaux de Fletcher Henderson, une sorte d’hommage à son plus célèbre arrangeur victime d’une hémorragie cérébrale quelques mois plus tôt et qui mourra fin 52. .
Mais le travail pour l’orchestre se fait de plus en plus rare…
Des tournées en Europe mais pas que
Dans les premiers mois de 1953, le nom de Goodman est apparu sur le devant de la scène jazz grâce à la publication des enregistrements du célèbre concert du Carnegie Hall, qui a donné lieu à une sorte de renouveau, caractérisé également par des émissions de radio dans le style des années 1930.
Il décide alors de reconstituer un grand orchestre avec le plus grand nombre possible de ses anciens compagnons et de partir en tournée.
Mais avant de partir, Goodman a dû douter que la série puisse se baser uniquement sur son nom et pour être plus sûr du succès il engageait également Louis Armstrong et ses All Stars: lorsqu’au bout de deux jours il se rendit compte que cette précaution avait été inutile, il essayait de faire abandonner Armstrong la tournée et, ayant échoué, il se retira laissant le soin à Gene Krupa de diriger l’orchestre.
En 1955, le clarinettiste eut sa célébration cinématographique avec le film The Benny Goodman Story, dans lequel son rôle était soutenu à l’écran par Steve Allen.
La sortie du film, une absurdité typique du style hollywoodien dans laquelle on écoutait pourtant des musiciens tels que Krupa, Lionel Hampton, Teddy Wilson, Buck Clayton, Harry James etc., raviva l’amour de Benny pour le big band et, en janvier 1956, il a commencé les répétitions avec un groupe de quatorze musiciens qui ont fait leurs débuts au Waldorf Astoria le mois suivant.
Il y restera jusqu’à la fin de l’année, date à laquelle il effectua une tournée en Extrême-Orient sous les auspices du Département d’État américain.
Mais sa tournée la plus célèbre eut lieu du 30 mai au 8 juillet 1962 lorsque, toujours à l’initiative du gouvernement américain, il effectua une longue tournée de concerts en Union Soviétique, un événement exceptionnel par les implications politiques et de propagande qu’il présentait.
Dans son orchestre, formé pour l’occasion, il y avait de nombreux grands noms : Phil Woods, Zoot Sims, Joe Wilder, Jimmy Knepper, Teddy Wilson, et les arrangements allaient des classiques d’Henderson aux plus récents de Tadd Dameron.
La tournée fut un grand succès et Khrouchtchev lui-même assista à un concert à Moscou. Mais dès son retour au pays, un tourbillon de controverses éclata.
En vérité, le choix fait par le Département d’État ne semblait pas le plus approprié : Benny, a-t-on soutenu à juste titre, n’était plus une figure représentative du jazz depuis un certain temps, il aurait bien mieux valu se concentrer sur un musicien au charisme incontesté. comme Ellington.
Beaucoup de ses solistes lui reprochaient alors de n’avoir utilisé aucun des arrangements les plus modernes mais d’avoir privilégié ceux des années trente, donnant une image plutôt « démodée » du jazz américain : la diatribe laissa cependant le vieux Benny complètement indifférent. .
Rien ne pouvait désormais ébranler son solide sens du professionnalisme, un don qu’il avait toujours possédé et qui ne semblait même plus pouvoir être remis en question. Quant à l’enthousiasme, il a disparu depuis longtemps et la qualité de sa musique en a beaucoup souffert.
Dans les années suivantes, outre une tournée au Japon en 1964 et des apparitions désormais fréquentes en tant que concertiste classique. rien de transcendantal ne se produit pour le vieux « swingman » qui semble de plus en plus mécontent du jazz.
Mais en 1970, il reprend « la route » à travers l’Europe. Il y a toujours un orchestre derrière sa clarinette, mais c’est un groupe de musiciens anglais réunis à Londres, là où la tournée a commencé. De son côté, il se limite à se commémorer dignement ainsi que les années « Swing ».
La tournée européenne est répétée l’année suivante, toujours avec l’orchestre anglais, et également en 1972, cette fois avec un sextet anglo-américain mettant en vedette le sax ténor de Zoot Sims et la guitare de Buck Pizzarelli.
Le 4 juillet 1972, à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance américaine, Benny donne un concert à Central Park à New York avec l’Orchestre symphonique de Naumburg, puis se produit à Toronto dans le cadre d’une Exposition internationale.
Une dernière danse
Mais c’est en 1973 que le retour aux bons vieux jours semble se réaliser comme par magie.
Ici, ils réunissent, après 35 ans, les membres du fabuleux quartet Goodman-Hampton-Wilson-Krupa pour une soirée dansante spéciale au Waldorf Astoria.
L’accueil est très chaleureux et les quatre « sénateurs » jugent opportun d’insister.
Ils ont d’ailleurs participé au Festival de Newport et ont enregistré un disque pour RCA Victor intitulé Together Again !.
Il ne reste alors que le souvenir, surtout au sens émotionnel, de Goodman qui a aujourd’hui 64 ans et qui malheureusement disparaîtra à jamais de la scène jazz.
Cependant, il y aura d’autres célébrations pour le vieux et pur et dur Benny. Le plus médiatisé est celui de son retour, quarante ans après ce fameux 18 janvier 1938 au Carnegie Hall pour un concert et un album “live” qui voit encore à l’honneur, outre Goodman, Lionel Hampton, la chanteuse Martha Tilton et Mary Lou Williams, auteur d’une pièce orchestrale inoubliable, Roll’Em.
Certes, certains des chevaux de bataille de l’époque sont dépoussiérés, Stompin’ At The Savoy, Don’t Be That Way, Sing Sing Sing, mais l’effet est celui de pâles copies exhibées avec lassitude.
De plus, de nombreux applaudissements polis proviennent d’un public d’âge moyen, parmi lequel se trouve peut-être aussi, les FANS sauvages qui, quarante ans plus tôt, avait pris d’assaut le Carnegie Hall.
Et ici se termine notre exploration dans la vie de Benny Goodman
Je vous laisse avec notre Playlist Spotify dédié au grand (même s’il n’est pas à l’unisson) clarinettiste où vous pourrez retrouver la plus parts des chansons dont nous avons parlé dans la biographie!
Si vous avez manqué la première partie, cliquez ici !
A presto
Crédits
Je remercie la FABBRI EDITORI (maison d’édition italienne) et sa collection de disques I GRANDI DEL JAZZ (imprimé en 1981) qui m’a donné l’occasion de découvrir et de vous faire découvrir les musiciens qui ont joué pour et avec Benny Goodman.
Je remercie également Albert McCarthy pour ses écrits qui ont inspiré mon article !
Je ne pourrais rien apprendre s’il n’y avait pas des gens comme vous qui ont fait de leur vie une étude sur les grands de la musique ! MERCI!
Babbo, mari, curieux de nature, penseur infatigable (''malheureusement'' pour moi et pour mes proches), amateur de bonne musique, bon vin et de la bonne bouffe !
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